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Travers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations Transnationales

Introduction

Ce spectacle transdisciplinaire connecte Sciences Humaines (Anthropologie) et Arts (danses sénégalaises et afro-contemporaines, piano classique, théâtre, chants sénégalais, bongo).

Il est le fruit de la rencontre et de la vie commune, à travers divers pays1 entre une chercheuse étudiant les migrations (moi, Marie) et un danseur migrant (Thierno), une femme et un homme, un Noir et une Blanche, une pianiste amatrice et un artiste professionnel, entre deux personnes dont les pays sont liés par l’Histoire, entre deux personnes qui voyagent pour des raisons distinctes et avec des risques différents, entre deux personnes dont les modes de transmission des représentations du Monde sont variés.

Basé entièrement sur ma thèse en Anthropologie (intitulée Des traversées de frontières aux quotidiens transmigratoires. De multiples mobilités pour des Sénégalaises et Sénégalais au Maroc) mais aussi sur les vécus migratoires personnels et collectifs de Thierno, il évoque les transmigrations des Sénégalais-e-s vers le Maroc, au Maroc.

Nous cherchons à rendre accessible ma recherche au plus grand nombre, en offrant à ce thème sensible de l’actualité un angle de vue artistique et un travail d'écritures novateur. Entre-deux de Danses et d'Anthropologie : Travers et Traversées de frontières diffuse, questionne et complète ma thèse en la restituant artistiquement mais aussi scientifiquement.

Ainsi, ce spectacle, qui se veut réflexif, pédagogique et évolutif, reflète les migrations transnationales via regards et moyens d’expression multidisciplinaires2 pluriels et complémentaires, issus de recherches artistiques et scientifiques.

D’autre part, il s’agit de représenter l’apprentissage difficile et enrichissant de l’Autre, qui existe dans toute rencontre migratoire et qui peut ressembler étrangement à la relation d’enquête anthropologique ou encore à la collaboration entre chercheur-e-s et artistes, qui doit sans cesse être analysée, apprivoisée, réfléchie. Ainsi, ce spectacle exprime la rencontre de l’enquête anthropologique, la rencontre migratoire et la rencontre recherche-arts.

Alors, le support artistique multiple, à caractère totalement heuristique, dirigé par un dialogue inédit piano/danses Sabar, devient une forme novatrice pour traduire, valoriser et diffuser une enquête en Sciences Humaines.

Tous deux passionné-e-s (ou concerné-e-s par) des phénomènes migratoires mais aussi d'Arts et de mixités, notre spectacle s'inscrit dans une démarche plus globale et vise à développer interactions entre Arts et Sciences afin d'initier des liens et réflexions quelque peu libérés des frontières, hiérarchies et hiérarchisations entre divers domaines et publics, afin d'explorer des espaces d’ouverture entre disciplines, afin de considérer de nouveaux objets.

 

 

  1. 1 Sénégal, Mauritanie, Maroc, France et Gambie.

2 S’allient, afin de refléter cette thèse dans sa complexité et sa diversité, musiques, rythmes, écritures, paroles et chants, occupation particulière de l’espace et décors spécifiques. Au niveau du piano, en plus de créations et d’improvisations, des morceaux de Kabalevski, Chostakovitch, Daquin, Czerny ou encore Schumann seront interprétés et/ou revisités. Les paroles seront des récits migratoires recueillis auprès de migrant-e-s et nos écrits personnels.

 

Travers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations TransnationalesTravers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations Transnationales
Travers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations Transnationales
Travers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations TransnationalesTravers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations Transnationales

Le franchissement des frontières

Voyages, déplacements, franchissements de différentes frontières et espace-temps, barrières physiques et morales, projections mentales vers des "ailleurs" parfois interdits, seront mis en valeur.

Le danseur chorégraphe, Thierno, se fondant dans la mélodie du piano (s'en démarquant ou en jouant avec), s’attache à se rendre témoin des épreuves du corps et de l’esprit. Dans ce cadre, la mise en scène fera émerger les obstacles et opportunités rencontrés, les solutions à trouver, l’enchaînement de sentiments contraires.

Cette partie est basée sur les données du terrain ethnographique : récits migratoires descriptifs, témoignages détaillés, observations et analyses de mes propres traversées de frontières et de celles de Thierno.

Explorer un minimum les zones transfrontalières, les problématiques aux frontières et celles des déplacements est essentiel pour une compréhension transnationale et multi-sites des migrations.

Se confronter aux frontières que les personnes migrantes côtoient est en effet primordial, puisque ce que les migrant-e-s connaissent en premier d’un pays, dans la pratique, sont ses frontières.

 

Nous soulignerons alors l’indispensabilité et la détermination de migrer malgré les dangers encourus ainsi que les liens étroits entre différentes échelles (micro, médio, macro) et les contrastes entre dimensions spatiales et temporelles.

Tout comme Pian (2013), je constate que l’ailleurs voulu semble accessible et proche, mais qu’il n’en finit pas de s’éloigner, et dans la géographie et dans la projection. Si le franchissement de ces frontières, étapes hors départ et hors arrivée, hors début et hors fin, impliquent des contrastes entre l’espace et le temps, c’est parce que dans ces zones, les corps, esprits et vécus en mouvance, au niveau intime et personnel, sont localement et collectivement gouvernés, à la fois à distance et à la fois sur place.

Sur place notamment, émergent des "lois" locales propres aux acteurs transfrontaliers qui gouvernent eux, physiquement, sur place, en direct et en face-à-face, les migrant-e-s et leurs parcours.

D’après les récits migratoires recueillis et analysés, il semblerait que ces logiques locales, entre le Sénégal et le Maroc, soient dirigées par l’aléatoire et la corruption des « homme- autorités » aux frontières et d’autres acteurs (formels et informels) rencontrés aux frontières.

Lois et politiques migratoires, respect des droits humains, circulations des personnes migrantes et de leurs biens, sont effectivement soumis aux humeurs, intérêts et nécessités temporaires ou durables de certains acteurs aux frontières, qui deviennent parfois des « hommes d'affaire » des frontières, du passage, de la fragilité. Les politiques migratoires ne sont pas toujours appliquées, les acteurs représentant l’Etat pouvant jouer, grâce à leur pouvoir, avec leurs interstices. Peuvent se développer des pratiques qui peuvent exister sans l’intervention de l’État, voire contre les logiques de l’État et de ses politiques.

Tous ces constats et processus complexes seront représentés, exprimés et dansés de manière simple et subtile.

Pour cela, Thierno élabore cette partie en lien total avec la mélodie, les rythmes et émotions portées par le piano, avec une gestualité diversifiée, à la fois puissante et légère, lente et rapide, masculine et féminine. A des moments pertinents, il mêlera à ses mouvements l’utilisation d’objets spécifiques retrouvés régulièrement lors des déplacements évoqués, plus particulièrement significatifs pour les Sénégalais-e-s en migrations et au Sénégal : sac de voyage, passeports et cartes consulaires, téléphone portable, thés, bouteilles d’eau, sacs, gris-gris, chapelets…

Thierno incarne ces voyages en faisant fusionner danses africaines traditionnelles et modernes du Sénégal auxquelles il est formé depuis l’âge de 9 ans, avec danses afro-contemporaines. En dansant ces déplacements grâce aux savoir-être, savoir-faire et savoir-danser attachés à sa culture sénégalaise mais aussi à son parcours transmigratoire, il danse en son nom et il danse pour les personnes rencontrées en migration et lors de ma recherche, pour ses proches en migration. De manière plus universelle, il danse pour les Sénégalais-e-s, les Africain-e-s et toutes les personnes migrantes qui vivent ou ont vécu de telles mobilités, puis pour toutes les personnes qui se sentent concernées par ce sujet.

Travers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations TransnationalesTravers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations Transnationales
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Travers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations Transnationales

Les identités de papiers

Nous engagerons une réflexion individuelle et collective sur cette expression. Les papiers sont liés à chaque traversée de frontières, à chaque loi migratoire, à chaque parcours migratoire et à chaque personne qui voyage.

Le jeu de scène veut alors interroger le pouvoir des papiers. Le pouvoir des papiers sur les identités est tel que pour Cousin (1990), qui reprend Dardy, « les papiers ne sont pas le reflet de notre identité -ils ne disent rien de nous- mais ils tracent tout de même notre inscription dans l’État-nation, et marquent la position de notre corps dans le monde. […] Plus qu’un enregistrement ou une preuve, ils construisent les identités, des identités de papiers ».

Mais que donnent et ne donnent pas les papiers aux personnes et à leurs corps ? Que disent-ils et ne disent pas des personnes et de leurs corps ? Que disent-ils aux personnes et ne leur disent pas ?

Cette thématique dévoilera aussi la signifiance de détails du décor et des objets phares utilisés dans le spectacle.

Pour interroger ces papiers, nos discours mélangés, quasi-synchronisés en wolof et français, s’entrecoupant presque et suivis d’un duo dansé atypique, interpellent de manière intense et vivante. Il nous tient d’ailleurs à coeur de faire un clin d’oeil à la francophonie et au métissage de langues. La langue française sera mise à l’honneur dans son rôle de communication mais aussi dans ses rapports avec l’arabe et le wolof puis dans ses visions différentes de la migration et du « parler migratoire ».

Chaque langue voit, traduit et exprime de manière sensiblement différente les migrations, le voyage, l’exil. Chaque langage est témoin d’univers de références et de sens commun divers. Chaque langage, ici le Français, le Wolof et bien sûr l’Arabe, doivent être valorisés tant il sont porteurs d’Histoire et d’histoires dans les rapports humains, tant il sont les reflets et supports de relations complexes entre personnes, d’adaptations.

La langue française aura un rôle phare dans ce spectacle car cette partie reflétera de plus les identités plurielles et cosmopolites construites en migration tout comme la communication avec les personnes rencontrées (mauritaniennes et marocaines notamment), qui se fait souvent, dans le cadre des migrations étudiées, en Français.

 

Travers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations Transnationales
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Le genre en migrations

La pièce révèle que femmes et hommes vivent des risques similaires en migrations. Pourtant, les frontières et leurs franchissements témoignent du cumul d’obstacles, de discriminations et de configurations de pouvoirs formels et informels rencontrées par les migrantes sénégalaises en tant que femmes. Parcours et récits migratoires féminins seront donc à l’honneur.

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Une attention particulière sera portée aux interactions locales existantes, dans ce contexte global de droits parfois bafoués, de schémas patriarcaux et corruptifs exacerbés, entre elles et les hommes aux frontières.

Le spectacle appréhendera les impositions et réductions d’identité, dont les femmes font l’objet de la part des « hommes-autorité » aux frontières entre le Sénégal et le Maroc. Ces impositions d’identité, ces réductions d’identité sont liées à des préjugés cumulés. Burchianti (2006) note plusieurs discriminations qu’elle nomme de genre, de « race » et de « classe ».

Peuvent résulter des situations d’abus qui influent sur les parcours des femmes et sur le temps qu’elles passent aux frontières. Pour répondre et faire face à ces abus masculin, les femmes tentent de déployer des stratégies de contournement, des stratégies d’évitement.

Elles organisent ces stratégies de manière individuelle ou collective, avec des femmes ou avec des hommes. En tout cas, dans la mesure où migrer est pour elles vital et où leurs choix sont limités, ces stratégies sembleraient souvent être celles du « moins pire ». En effet, la frontière est un espace géographique mal connu ou inconnu, peu accueillant et peu protecteur au regard des infrastructures, des paysages et du climat. Les relations humaines y sont teintées d’insécurités.

Tout cela pousserait la femme, surtout lorsqu’elle est accompagnée d’un enfant, à sélectionner l’option la moins « insécurisante ».

Le spectacle valorisera, de manière anonyme, les récits de femmes. Il examinera entre autres les « deals de drague » ou « chantages sexuels » - auxquels sont confrontées les femmes, dans les zones transfrontalières mauritaniennes et marocaines. L’objet de ces chantages est bien souvent l’obtention du cachet d’entrée.

De plus, la migration enrichit construction de soi et rapport au genre. Parce qu’elle contraint souvent à s’adapter et se débrouiller seul-e, elle amène à se dépasser. Certaines tâches auparavant réservées aux hommes ou aux femmes seulement ne font plus vraiment sens en contexte migratoire.

Apparaît un brouillage des normes genrées qui offre de nouvelles manières d’être au Monde et un mélange de savoir-faire, gouvernés par des réappropriations/redéfinitions des rapports de genre.

En cela, ce spectacle souligne comment la migration, malgré la contrainte, permet de se connaître, de se construire et de s’analyser autrement.

Travers et Traversées de Frontières : Danser et Dire les Migrations Transnationales

Détails

Ces thématiques s’articulent musicalement, oralement et chorégraphiquement sans chronologie fixe. Scènes répétées et improvisations dirigées s’orchestrent par une pluralité de moyens d’expressions, par une succession de récits de vie, de styles de danses, d’effets de répétition, de séquences et mouvements simples/sophistiqués, représentant des situations éphémères, anecdotiques ou courantes observées/vécues sur le terrain. Sont exprimés les vécus, émotions, analyses, représentations et pratiques des personnes migrantes sénégalaises rencontrées.

Ainsi, le spectacle pourra émettre des indications quant aux aspects méthodologiques de ma recherche. Est en effet visualisé comment les traversées de frontières observées, dansées, contées, vécues et analysées, sont indispensables : comme terrain d'enquête, comme outil heuristique, comme instrument analytique, comme révélateur des réalités quotidiennes des Sénégalais-e-s au Maroc.

Nourris de l’alliance de nos parcours personnels et de nos connaissances et approches de travail propres, les ressentis seront mêlés tandis que les récits migratoires, situations observées et résultats prendront vie et s’entrechoqueront.

Les réflexions artistiques et anthropologiques qui s'y entrecroisent se veulent au plus près des réalités, elles-mêmes en mouvement, des Sénégalais-e-s rencontré-e-s lors de ma recherche, lors des vécus de Thierno, et du lors du développement de ce spectacle. Cela sans trahir ou déformer, sans mal ou sur-interpréter les paroles, événements et quotidiennetés de toutes les personnes ayant participé à ma thèse.

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